Vous avez vu une mouche ?

1. Giorgio Vasari, La Vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 15 2. Cf. Etapes n° 259 3. Daniel Arasse, Histoires de peintures, Gallimard, 2004. 4. Daniel Arasse, Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, 1992.

Ou commence le trompe-l’oeil, l'effet d'optique ?

La peinture représente en deux dimensions des objets en trois dimensions. À ce titre, toute peinture visant à la ressemblance formelle, est une illusion. Et pourtant, c'est comme si au sein de cette affaire de dupes qu'est la peinture, il y avait des trompe-l'œil encore plus trompeurs. 2

L'historien de l'art Daniel Arasse raconte :

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Koum, la mouche seelab

Comme si cette mouche était un piège supplémentaire pour l'œil, à l'intérieur de cet accord tacite entre le spectateur et le peintre qui suppose que le spectateur accepte, contrairement aux oiseaux, que la peinture soit peinture. La mouche vient rompre cet accord tacite. Or le savoir-faire du peintre est similaire quel que soit le sujet abordé: forme, profondeur, texture, perspective, couleurs; voilà son affaire, peindre une mouche est une prouesse technique similaire à peindre le bouton de nacre sur le costume d'une dame hollandaise.

Pourquoi, alors, une mouche est-elle perçue intuitivement comme un trompe-l'œil ?

La mouche va appeler cette notion d'effet d'optique par un détour immédiat et involontaire de la pensée. Si la minuscule mouche a une telle puissance sur un tableau, c'est tout bonnement parce qu'elle ne devrait pas être là. Une mouche dérange; une mouche n'a rien à faire sur une toile (ni sur un site internet).

La mouche appartient au monde réel, pas à celui de l'art. La mouche chatouille l'âme de celui qui regarde, d'où son geste réflexe: chasser l'animal importun. Une petite mouche pose la grande question morale, culturelle, de savoir si tel ou tel sujet est digne ou nom d'être représenté. 2

André Chastel s'est intéressé à cet animal incongru, la musca depicta, «mouche peinte ».

II commente ses apparitions sur des tableaux de la Renaissance; ainsi, sur une madone de Schiavone, en 1460, une grosse mouche velue sur un angelot, que l'esprit du spectateur ne peut s'empêcher de vouloir chasser, comme si elle allait importuner le petit Jésus. Daniel Arasse a lui aussi lorgné sur ce point noir qui fait tache, au sens propre, sur la toile. N'ayant aucune utilité, affirme-t-il, la mouche a une utilité supérieure: elle désigne le tableau comme tableau 4

La mouche marque le surgissement de la modernité, à travers le geste créateur du peintre qui dit au spectateur invisible:

attention, cela est faux ! La réflexion sur l'acte de peindre est cachée dans la mouche. Petits moyens, grands effets. Un jeu formel. Un clin d'œil.

«N'y crois pas!» dit la mouche.

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Image 1 : notre proposition d'identité visuelle. Image 2 : quatre propositions générées par MidJourney.
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Image 1 : notre montage. Image 2 : quatre propositions générées par MidJourney.
« On raconte que Giotto, encore jeune, travaillait dans l'atelier de Cimabue, peignit un jour sur le nez d'une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître, se remettant au travail, tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main
«Je me suis dit : C'est incroyable, il y a une mouche sur le tableau! J'étais vraiment scandalisé: des mouches dans un musée américain! Bien sûr, en me rapprochant du tableau je me suis rendu compte que je m'étais fait avoir par la mouche de Crivelli 3 »

1. Giorgio Vasari, La Vie des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 15 2. Cf. Etapes n° 259 3. Daniel Arasse, Histoires de peintures, Gallimard, 2004. 4. Daniel Arasse, Le Détail, pour une histoire rapprochée de la peinture, Flammarion, 1992.